For the sin of swallowing the sun.

Grande sœur

Inazuma Eleven - 23/08/2021

1,433 mots.

    Elle est la fille aînée avant d'être une enfant.

Disclaimer : Inazuma Eleven appartient à LEVEL-5.

Elle avait eu un grand frère, pendant un temps. Et puis sa main chaude a lâché la sienne, son sourire s'est peu à peu effacé au loin. Lina essaie chaque jour d'en tracer les contours dans sa tête, de ne pas perdre ce qu'il reste de son grand frère. Mais c'est elle l'aînée à présent, elle contemple avec horreur les années se succéder jusqu'à ce qu'elles la rendent plus âgée qu'il n'a jamais pu l'être.

Jusque là elle supportait, tenait bon malgré la litanie mélancolique de son père. L'homme qui lui paraissait autrefois si grand pour ses petits yeux d'enfant, à présent voûté et muré dans son chagrin, pathétique et grotesque. Elle tentait en vain de lui arracher un sourire, de lui rappeler de prendre soin de lui. Tout en continuant d'aller à l'école et de noircir des cahiers de problèmes avec lesquels il ne l'aiderait jamais.

Tu as 14, 16 ans, et tu es l'adulte.

Un jour, elle avait cru percevoir un rayon de soleil dans le sourire de l'enfant apparu dans son jardin. Elle avait chassé le nuage formé par l'ombre de son père s'étirant derrière le garçon.

Lina était devenue la grande sœur pour tous les orphelins qui trouvaient une maison à l'École du Soleil. C'était les plus belles années de sa vie après la mort de son frère, l'arc-en-ciel après l'orage. Chaque fois que le sourire de Xavier brillait, elle sentait son cœur s'étreindre d'une bouffée de tendresse et de fierté. Mais aussi de peur, qui guette derrière les nuages et va de pair avec la responsabilité de grande sœur.

Elle ravalait ces inquiétudes et apprenait à ses nombreux frères et sœurs à tenir la maison, s'occuper les uns des autres et créer un système solaire gravitant autour de leur Père.

Celui-ci rentrait du travail qu'il avait trop longtemps délaissé, en plein milieu d'une partie de cache-cache, et tous les enfants sortaient de leur cachette pour accourir dans ses bras. Lina observait les mains calleuses de son père caresser les petites têtes pas toutes blondes, son visage s'illuminer du sourire qu'il lui réservait autrefois.

Et quand l'angoisse la saisissait la nuit, son cœur tordu par les ténèbres autour d'elle, la petite main chaude de Jordan ou Isabelle tirait sa manche et l'entraînait au pays des songes.

Lina partait à la recherche des doudous perdus, séparait les chamailleries, faisait la lessive et des câlins, préparait les repas et lisait des histoires.

Une fois, alors qu'elle nettoyait le visage de Claude gribouillé par Bryce, en réprimandant le peintre et en consolant la toile, Xavier était entré dans le salon depuis le bureau de Père la mine toute grave. Elle pouvait entendre au loin Astram remercier et raccompagner à la porte un associé qui lui rendait souvent visite ces derniers temps. Son frère s'était alors réfugié près d'elle et avait enfoui son visage dans son dos. Quand elle lui avait demandé ce qui n'allait pas, il s'était simplement blotti davantage contre elle.

Un frisson avait parcouru tout le corps de Lina. Le ciel se couvrait.

Ses frères et sœurs avaient grandi. Et puis un jour, comme elle auparavant, Xavier avait dépassé l'âge de son frère. Lina était toujours la grande sœur mais elle se sentit alors plus petite que jamais.

La lueur au fond des yeux de son père, un rappel que le deuil n'est que l'amour sans endroit où aller. Il venait de le trouver.

Au début, elle mettait leurs sautes d'humeur et leur air maussade sur la crise d'adolescence. Après tout, elle aussi avait traversé cette période difficile. Mais son expérience ne pouvait pas être qualifiée de normale. Elle aurait voulu, elle aurait cru que ce serait différent pour eux. Qu'elle rendrait ça différent pour eux. Mais elle était beaucoup trop lâche pour ça.

Et quand elle se réveillait en sursaut la nuit, tiraillée par l'angoisse, nul Jordan ou Isabelle pour lui tenir la main.

Elle partait à leur recherche, entrebâillait les portes des différentes chambres pour s'assurer qu'ils étaient bien là. Parfois ils dormaient paisiblement, leur respiration faisant se calquer la sienne effrénée sur leur rythme régulier. Parfois ils ne l'étaient pas. La lune projetait des rayons améthystes sur les lits vides et froids.

Elle entendait des plaintes étouffées s'élever du sous-sol, mais ça devait seulement être l'écho des instruments du laboratoire et elle se terrait dans son lit, les mains crispées sur les oreilles.

La journée, elle et Père dansaient une valse erratique autour du sujet. Elle le suppliait d'arrêter, sans jamais préciser de quoi il s'agissait. De toute manière il ne l'écoutait pas. Il était de nouveau plongé dans l'abîme de sa folie, dont elle avait préféré l'imaginer sorti toutes ces années plus tôt.

Si elle appelait les autorités, où iraient tous ces enfants redevenus orphelins ? Éparpillés aux quatre coins du pays, certains même envoyés hors du Japon ? C'est ici leur maison. C'est elle leur grande sœur.

Même si… Quelque part au fond d'elle demeurait une petite fille terrifiée. Elle aussi s'accrochant plus que tout à l'illusion de retrouver son grand frère. Que tout ça soit un cauchemar. Elle se réveillera, elle aura huit ans, et il la rassurera de ses grandes mains chaudes. Quand elle baissait sa garde, cette pensée tirait sur les coins de son cœur. Qu'il était possible de le faire revenir.

Elle a 21 ans. C'est de sa faute.

Chaque nuit elle se rapprochait de plus en plus des escaliers menant au sous-sol. Marche après marche. Ses pieds nus claquaient sur le carrelage glacé du couloir. Une ampoule délabrée grinçait en crachotant sa lumière blafarde sur les parois du bien trop court boyau. Les cris résonnaient de plus en plus fort. Elle serrait les dents pour ne pas se boucher les oreilles. La poignée sous ses doigts était métallique et froide. Elle n'avait pas besoin d'ouvrir la porte mais elle le fit quand même.

Le reflet violet dans les yeux écarquillés de son père tandis que les enfants, jamais le même de nuit en nuit, se tordaient de douleur dans l'habitacle de verre. Les veines saillantes sous la peau maladive et les tendons au bord de la rupture, la mâchoire serrée sur des supplications qui ne sortiraient jamais. Et quand le scientifique associé d'Astram les extirpait du dôme de verre, Père étreignait leurs corps aussi lâches que des poupées de chiffon, et ils souriaient.
Lina ne pouvait même pas pleurer. Les larmes sont l'apanage des innocents.

La cuisine n'était plus remplie de douces odeurs et d'éclats de rire. Le soleil se déversait par les grandes fenêtres du salon sans personne pour s'y baigner. Ils étaient tous amorphes dans leurs chambres ou perdus dans ce sport qu'elle détestait tant.

Le système solaire s'était effondré autour du trou noir à son centre. Son père lui avait tout pris, aspiré tous les astres dans son orbite pour recracher la météorite noire de l'Académie Alius. Un mausolée ne peut jamais être vivant.

Ses doigts tremblaient autour de l'anse de sa tasse le matin. Xavier lui jetait un regard torve lorsqu'elle posait une main sur son épaule.
Arrête, lui disait-elle, refuse les expériences de Père. Ce qu'il vous fait est atroce. Xavier se retournait promptement et son visage se fendait d'un sourire qui ne lui appartenait pas. Tu ne vois pas, grande sœur, comme je suis fort ! Je vous protégerai.

Et la petite fille qu'elle est a si peur mais tout cela est injuste. Il n'est pas lui. Il ne sera jamais lui.

C'est ainsi : ton frère et mort et tu le sauves, et tu le sauves. Il crève sans cesse sous les mains de ton père pour quelques restes d'un amour bien supérieur au tien.

 

Son reflet dans la vitre de la chambre d'hôpital contemple Shawn allongé dans le lit. Lina serre les poings et se recompose quand les joueurs de Raimon entrent dans la pièce, inquiets pour leur nouvel ami. Pour la nouvelle recrue de l'équipe qu'elle dirige.

Manipuler des enfants pour en sauver d'autres. Ça fait bien trop longtemps qu'elle est adulte.


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