Pot de colle
Spirou & Fantasio - 26/06/2022
1,775 mots.
"Pourquoi vos parents vous ont-ils appelée comme ça ?" avait demandé Fantasio pour passer le temps alors qu'ils étaient retenus captifs au fin fond d'un énième pays étranger. "Mon père était un magnat de la colle. Mon petit frère s'appelle Uhu." Elle avait éclaté de rire quand il avait compris qu'elle se moquait de lui. Elle ne lui avait pas dit qu'elle avait choisi son prénom.
Commentaire de l'auteur.e:
Petite fic sans prétention, pas la plus travaillée que j'aie pu écrire mais bien sympa quand même.
À la base je voulais écrire cette fic sur Inazuma Eleven, mais je me suis rendu compte que j'étais bien plus proche de Seccotine que de Nathan (qui est adolescent). Car oui, cette fic est ma façon de projeter mon introspection sur un personnage haha Je comprends enfin l'intérêt des trans!fics, ça fait un bien fou de mettre des mots ainsi.
Et bien sûr, adapté pour le personnage car cela reste une fiction !
Si vous n'appréciez pas cette version du personnage, pas de souci, ne lisez pas cette fic. Ce qui est génial avec les personnages de fiction c'est qu'ils peuvent être tout ce que vous voulez.
Pour les besoins de cette fic Fantasio est cis, mais on sait toustes qu'il est trans comme tous les héros de BD franco-belge ;)
Je puise dans ma propre expérience avec le genre, il y a différents rapports à la transidentité donc certain-es lecteur-ices ne seront peut-être pas d'accord avec ce que je raconte, ça reste une expérience personnelle et pas la vérité absolue. Joyeux mois des fiertés à toustes !
Merci particulièrement à Ambrena pour m'avoir encouragé à la publication, ça m'a beaucoup touchée :)
Avertissement : légers mégenrage et dysphorie sociale.
Disclaimer : Spirou & Fantasio appartient aux éditions Dupuis.
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« Qu'est-ce qu'elle veut, la p'tite dame ? »
Et voilà, super façon de commencer la journée. Seccotine flanqua sa carte de presse sous le nez du malotru qui gardait l'entrée de l'immeuble hyper-sécurisé. Le célèbre escroc qu'elle traquait jusqu'en haut de sa forteresse de l'industrie technologique aurait pu engager des vigiles un peu mieux élevés.
Elle le dépassa la tête haute quand il reçut l'ordre de son supérieur de la laisser entrer.
Plus tard, alors qu'elle arrangeait ses notes de l'interview à son bureau, Seccotine se sentait encore agacée. Ce n'était pas seulement à cause des commentaires empreints de condescendance misogyne ni des mains aux fesses, comportements déjà scandaleux en soi et contre lesquels il était tout à fait légitime de s'indigner. Il y avait une autre raison, plus personnelle, plus nébuleuse. Elle supportait de moins en moins que tout le monde lui donne du Madame, du Mademoiselle. Bien sûr, il n'y avait pas trente-six façons de l'appeler. Seccotine soupira.
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Peu après ses vingt-et-un ans, quelque chose avait changé. Ou plutôt, quelque chose s'était conclu. Car en y repensant, ça avait toujours mené à ce dénouement, se frayant un chemin en elle tranquillement, naturellement. La manifestation la plus évidente de cette conclusion était qu'elle ne se retrouvait plus dans son prénom.
Elle aimait toujours ce prénom que ses parents lui avaient donné, mais de plus en plus comme on apprécie un tableau, qu'on contemple de loin. Il ne lui allait plus. Elle, animée par sa curiosité naturelle, en avait cherché la raison. Elle allait sortir de l'école de journalisme pour se lancer sur le terrain, et il lui semblait que tout l'exhortait à changer. Que sa réflexion était la bienvenue.
Alors elle avait suivi la trace de ce sentiment, l'avait laissé la mener de question en question aussi sûrement qu'un guide en terre étrangère. Puis elle avait cherché un prénom. Qui lui irait, qui l'habillerait mieux que celui offert par ses parents peu à peu devenu trop petit. Ou peut-être qu'à l'inverse, c'était elle qui l'avait dépassé.
Elle en avait essayé plusieurs, dressé une liste, mais ça ne collait pas totalement. En recoupant plusieurs sources, elle vint à l'idée qu'elle aimait bien la lettre S, dont la fluidité du tracé évoquait la courbure de sa queue de cheval. Elle comprit aussi qu'elle ne voulait pas d'un prénom trop genré comme Sophie ou Stéphane. Ni de quelque chose de trop générique, trouvable n'importe où. Elle voulait que cela vienne d'elle.
Et puis un jour, assise au bureau de son lieu de stage, à triturer les fournitures dont elle se servait pour mettre en page un article, son regard était tombé sur le logo du tube de colle. Quel nom étrange, amusant même ! Elle avait souri et l'avait ajouté à sa liste, pour plaisanter. Les semaines qui suivirent, elle l'avait griffonné un peu partout dans son carnet de poche, parmi les notes de reportages. Elle aimait la double consonance dure complétée par la terminaison légère, les syllabes en équilibre confortable.
Elle l'avait essayé comme surnom auprès de ses camarades et futurs collègues, ravis de la connotation affectueusement moqueuse. Ça collait tellement bien.
Ses parents n'avaient pas été de cet avis. Elle les avait embrassés en s'excusant, avant de rentrer chez elle. Elle avait été une fille puis une femme pendant des années, et elle en était heureuse. Elle ne souhaitait pas réécrire l'histoire, seulement la continuer. Ils ne lâcheraient jamais vraiment leur petite fille, mais ses parents avaient fait des efforts pour prendre le train en marche.
Et puis elle avait fini par recevoir sa carte professionnelle. Seccotine, journaliste. Le soleil avait rayonné sur le rectangle en plastique et son visage s'était éclairé.
Des années plus tard, elle avait rencontré (bon, suivi) les deux célèbres journalistes du Moustique. Fantasio s'était exclamé, sans se poser de question tant il était hors de lui parce qu'elle était en train de leur piquer leur scoop : « Seccotine, c'est pas vrai, quelle pot de colle ! »
Oui, ça collait vraiment bien.
La journaliste sourit en se remémorant cet épisode. Eh oui, elle n'avait plus lâché les deux aventuriers depuis, parce qu'il n'y a pas de Spirou et Fantasio sans scoop !
⁂
« Vous avez pris froid, Seccotine ? s'enquit le photographe quand sa collègue et rivale toussa une nouvelle fois.
Le serveur avait déposé son café avec un « Pour Mademoiselle » tout naturel. Comme si, évidemment, ça coulait de soi. Elle crispa encore les poings sous la table. C'était de sa faute, c'était vrai. Elle n'avait pas vraiment envie de changer de tête. Elle aimait ses cheveux longs et sa poitrine, et même si elle caressait parfois l'idée de ressembler aux deux hommes attablés face à elle, elle savait que ce n'était pas tout à fait ce qu'elle cherchait.
Mais encore une fois, il n'y avait pas de mot entre Madame et Monsieur, et les gens ne croyaient que ce qu'ils voyaient. Malheureusement, ils ne la verraient jamais telle qu'elle était. Heureusement, elle n'était donc pas limitée par leur perception et pouvait faire ce qu'elle voulait.
- Un peu, finit-elle par répondre en essayant de changer son registre de voix. Elle s'y escrimait depuis plusieurs jours mais ce n'était pas facile, il fallait y penser à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Et dieu savait comme elle adorait parler.
- Seccotine, pour avoir moins mal à la gorge, essayez de parler depuis votre poitrine. » intervint Spirou.
Leurs regards se croisèrent et une étincelle fusa. De reconnaissance, tacite mais d'un soulagement et d'une joie bouleversants.
Seccotine savait, bien sûr, et depuis longtemps. Elle avait vu de vieilles photos de vacances où le groom ne retirait jamais son t-shirt même sur la plage, et elle avait pris part à des expéditions sous les tropiques où elle avait reconnu deux cicatrices serpentant sous les pectoraux du jeune homme. Lorsqu'un indiscret posait la question, il prétextait une attaque de requin ou une rixe au couteau contre un dangereux malfrat. La journaliste, avide de vérité et passée maître dans l'art de fouiner partout, n'avait jamais cherché à creuser. Il y avait dans le métier des jardins secrets que l'on respectait.
Elle se demanda si Fantasio savait que Spirou signifiait « écureuil » en flamand, et si Spip avait joué le même rôle pour son maître que son tube de colle. Elle lui sourit en retour :
« Merci, Spirou. » elle s'efforça d'appliquer son conseil. Après tout, il savait de quoi il parlait.
⁂
Elle ne demandait pourtant pas grand-chose, se figurait-elle en s'affalant sur son lit une fois rentrée. Mais il semblait que c'était déjà trop.
Son regard tombait sur une photo épinglée au mur. Elle aimait son portrait dans ce cliché pris sur le vif par Ororéa lors d'une expédition commune. La main droite autour de la taille de l'autre, la gauche sur la rambarde du bateau face à l'objectif à minuteur. Seccotine, riant aux éclats, tandis que le vent océanique faisait voler les longs cheveux de son amie dans le cadre de l'image. Ororéa avait su capturer sa véritable essence sur la pellicule : elle se voyait et c'était elle.
Sa collègue photographe n'avait pas battu d'un cil quand Seccotine lui avait dit ne pas être une femme. Elle prenait la peine de parsemer ses phrases à l'attention de la journaliste de tournures neutres et masculines, d'entretenir l'équilibre dans lequel Seccotine se trouvait la plus à l'aise. Peut-être était-ce plus facile pour Ororéa que pour d'autres car les langues polynésiennes étaient plus fluides dans le genre. Peut-être était-elle simplement une bonne amie.
Seccotine se sentait bien avec elle, se sentait reconnue peu importe son apparence. Elle n'avait pas à faire d'effort, à pousser la déformation professionnelle de se faire passer pour ce qu'elle n'était pas dans le but d'obtenir des informations comme du respect, à échafauder une façade pour donner à voir au monde ce qu'il voudrait bien croire. Dans les yeux sombres d'Ororéa, elle était vraie.
Mais peut-être un jour, elle tapota la photo du bout des ongles, elle en parlerait à Spirou.
⁂
« Fantasio… finit par lancer le groom après avoir tourné et retourné la question dans sa tête. Je crois que Seccotine est comme moi.
Fantasio, qui savait que Spirou voulait dire « écureuil » en flamand et qui avait des années plus tôt mis sa confusion et son émoi de côté pour conclure que Spirou était son meilleur ami point barre, ne leva pas le nez de son périodique qui relatait le – à son grand dam – captivant reportage de leur amie démasquant un escroc de premier ordre :
- Quoi, journaliste ?
Après un moment, l'aventurier aux deux cicatrices sur les pectoraux eut un petit sourire. Il hocha la tête :
- Oui, journaliste. »
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